T’as beau être matinal, t’as mal.
Nous y voilà : le deuxième match de notre tournoi des 6 nations à nous. Après un déplacement héroïque dans la boue de Conflans, avec une victoire au forceps sous la pluie crachotante et sous un éclairage fébrile, nous voilà de retour sur nos terres de Sceaux, domaine royal s’il-vous plaît !
Nous arrivons un peu la fleur au fusil : un bel entraînement jeudi (en fait je dis ça mais j’en sais rien je l’ai loupé), le soleil de mars resplendit au-dessus de nous, le terrain sera synthétique mais éclairé par la radieuse lumière de l’astre du jour. Et puis nous sommes 22 ! Autant dire que le chiffre est propitiatoire au moment d’affronter l’équipe folklo du 36 quai des orfèvres.
Car nos adversaires du jour sont issus de l’institution policière : ils sont vêtus tels d’antiques bagnards en noir et blanc, ils ont l’air détendus. Ils sont moins nombreux et pour partie en retard. A ce stade du compte-rendu, votre serviteur est bien obligé de rappeler que lui-même est arrivé en retard avec quelques restes de la soirée de la veille. C’est donc après un échauffement décalé que le banc petit père, accompagné de trois supporters dont un argentin, observe le coup d’envoi. Celui-ci peine à être sifflé car des enfants des tontons (des fistons, pas des neveux) courent sur le terrain : mais où est l’autorité de la police ! Gérez-moi ces mioches !
D’entrée de jeu, Dam récupère et en bon abonné à Tracteurs magazines ™️, il enfonce la ligne adverse et file droit vers l’en-but sans que les tontons réagissent, comme apathiques. Le banc exulte mais Dam est repris à un mètre de la ligne : il passe à notre second tracteur, Lamoche, qui ne parvient malheureusement pas à marquer. Les Tontons réussissent à se dégager et reviennent dans nos 22. C’est le moment que choisit leur paire de centre pour commencer son numéro. Deux avions de chasse, façon patrouille de France ou Tanguy et Laverdure, qui vont nous laminer et nous transpercer à plusieurs reprises, assistés en l’occurrence d’un 7 rapide et en forme et d’un 10 qui jouait auparavant à Dax… autant dire qu’on est dépassés et qu’ils enfoncent notre propre centre. JB tente un beau retour défensif mais un raffut du 7 le couche au sol. 1-0 pour eux et déjà de l’inquiétude.
Ensuite, les PP se ressaisissent et sur un beau mouvement collectif initié par le pack, Dam peut envoyer Che marquer. Je ne suis pas très prolixe sur cet essai, je regardais pas : j’étais parti aux vestiaires récupérer un maillot. Donc rien à signaler, à part que notre Schrott national marque à chaque match ! Revigoré par cet essai, notre tracteur Dam décide de désosser leur 15 de manière assez gratuite, malheureusement, il se blesse lors de cette action et doit sortir. C’est le premier coup dur et ça ne va pas s’améliorer. Dans la foulée, les tontons nous débordent sur l’aile et vont inscrire un troisième essai. 3-1.
Les Petits pères, toujours vaillants, relancent l’assaut, Issapel, Tonton et Nikki forment un joli bloc qui ne parvient pas à progresser autant qu’escompté. On rentre dans leur 22 : ça écarte, Ptit lu touche un ballon mais impossible de bonifier : en face ça monte vite, bien et fort et ils nous contrent. Cela terminera par un en-avant au milieu du terrain et mêlée pour nous.
Un hors-jeu de leur part nous ramène chez eux et Che récupère un bon ballon de relance. Il pique sur leur aile, mystifie un premier défenseur, s’infiltre dans leur défense comme l’eau dans les murs de mon appart, fluide et dense dans une défense dépassée. Sur sa droite, Ptit Lu hurle comme un mouton un jour d’aïd pour avoir le ballon, rien n’y fait, Che ne peut pas transmettre. Sur le banc Boubouche lui notifie qu’il a « oublié son ailier là ». Oui. C’est le dur métier d’ailier : on nous oublie. Pourtant, quelle noble poste : quel esprit de sacrifice. Se préparer des mois durant pour jouer 80 mn tout en sachant que souvent, le seul ballon que l’on touchera, c’est quand on ira récupérer la balle en touche pour la ramener à notre talonneur…
Alors que les tontons se montrent à nouveau dominateurs, Squat entre en jeu à l’arrière et s’illustre immédiatement par une elle relance. Repris dans leurs 22, Squat libère pour les gros. Malheureusement, les PPs cafouillent tout à coup le ballon et les tontons le récupèrent, filant à l’essai. 3-1, mais rien n’est fait.
C’est alors que, bien servi par Kévin, Eliot se lance dans une charge solitaire, pénétrant la défense adverse. Jouant des coudes, il se débarrasse d’un premier défenseur. Un second est au coude-à-coude avec lui, prêt à en découdre. Mais Eliot souhaite marquer coude que coude… et là, c’est le drame. Sur un plaquage assez sale, un tonton abîme notre centre. Coude déboîté, impossible de bouger, il faut appeler les pompiers ! Encore une victime des violences policières.
Lamoche console Eliot, en lui demandant de sortir plus rapidement du terrain pour qu’on puisse reprendre le match. JB est à son chevet, recueillant ses dernières volontés et le numéro de sa meuf. Finalement, notre vaillant quitte le terrain sous des applaudissements mérités, et nous reprenons le match.
La deuxième mi-temps commence par une mêlée à 5m de leur en-but, et après plusieurs temps de gros, Lamoche se saisit du ballon et aplatit. Tout le monde se réjouit, mais le sort est contre nous : notre second tracteur s’est blessé sur cette action. 3-2, mais de bien mauvaises nouvelles. Heureusement, Mariol et son pied gauche assuré continuent de nous protéger du mal… mais pas pour longtemps.
Cela va aller très vite et cela va faire très mal. Sur un renvoi, les tontons récupèrent, et leur numéro 7, un chauve très aéorodynamique, prend de vitesse notre défense. A côté de moi, Boubouche s’exclame « oh la feinte du facteur », Doud le regarde en hochant la tête. Je me dis que cette phrase doit très certainement signifier quelque chose, mais le sens ne m’en apparaît pas immédiatement. Je suis encore en train d’analyser l’expression obscure de notre coach à l’argot riche et fleuri, lorsque le 7 récupère une nouvelle fois la balle, procède à une revue d’effectif, serre quelques mains malgré les consignes anto-coronavirus, se débouche une bière et en profite pour remettre un essai. Pour autant, on ne démissionne pas : nos deuxième et troisième lignes abattent à tout va, que ce soient Matthieu, N’Alex, Schrott, Doud ou Sbat. Mariol s’illustre dans le jeu courant, la charnière projette bien nos gros vers l’avant, mais il y a toujours un geste de trop, un ballon tombé… Une fébrilité qui débouche sur de la stérilité. Cela fait 50 minutes qu’on joue, et il y a 5-2. Au loin, je vois Ptit lu boîter telle une fillette après une soirée chez Polanski : il demande à changer, j’y vais.
J’entre avec la bave aux lèvres, paré pour venger nos blessés. Très vite, je me propose petit côté, Benasse saisit mon regard, un grand moment de rugby pour moi ! On va compter sur moi, peut-être même y-a-t-il là une occasion de marque ! Notre demi délivre une magnifique passe au cul d’un ruck, allez mon gars, tends les bras, attrape la balle ! Comme dans un épisode d’Olive et Tom, le temps s’arrête. La balle passe entre mes bras tendus, choit au sol. Je revois le regard de confiance de Benasse, comme au ralenti je tourne la tête vers la balle, le 7 chauve, notre némésis avait suivi l’action. Avec un regard narquois, il ramasse la gonfle. Je me lance à ses trousse, mais c’est trop tard, l’irréparable le restera. Je regarde Benasse : dans ses yeux, je lis la peine, la résignation… comme une forme de désespoir mâtiné de compassion pour moi. 6-2, et il reste 15 minutes.
Les petits pères ne baissent pas les bras : on s’accroche, on est aussi solidaires que possible en défense. Tout le monde a à cœur de bien faire, de ne pas laisser tomber l’équipe, de tenir son rang, de serrer les rangs : mais en face c’est trop fort. Ils sont en pleine confiance et ça attaque de partout. La Patrouille de France s’est muée en Pearl Harbour et les condés nous bombardent de partout, nous arrosent de ballons hauts. Squat et Régis veillent au grain, mais ça écarte vite. Ils défendent bien sur leur aile, mais leur 10 inverse et délivre une longue sautée : leur 7 capillairement déficient se retrouve à nouveau face à moi, seul, avec du champ. Dans ce un contre un, il nous gratifie d’un superbe cadrage débordement, je garde sa carte de visite, lui a récupéré mon ego. Cela fait 7-2. Il reste 5 minutes, mais les tontons ne sont pas rassasiés. Ils reviennent attaquer au centre du terrain, insistent dans l’axe avec brutalité et détermination. Nous, nous n’y sommes plus vraiment. Grâce à notre bonne défense, un de leurs gros finit par faire un en avant dans l’en-but. Nous récupérons la mêlée et Mariol botte en touche. C’est terminé : score final, 7-2.
Alors que dire de plus ? Que le match s’achève dans la bonne humeur tandis que les Tontons nous serrent la paluche ? Que c’est une équipe très sympa que nous aurons plaisir à rejouer ? Sans doute. Qu’ils étaient jeunes, bien entraînés et qu’individuellement, ils avaient souvent plus de rugby que nous ? Très certainement. Mais après ? Cela fait 7-2, et quoi qu’on en dise, quoi qu’on y fasse… ça fait mal. Après un match comme ça, t’as beau être matinal, t’as mal.
De votre correspondant en banlieue Thibaud
Erratum : bon, il s’avère que les Tontons en question n’étaient pas les tontons du 36, c’étaient des tontons d’école de commerce qu’avaient l’âge d’être les neveux de nos tontons du 36 qui en ont plutôt 45 quand on regarde de près. Donc tonton du 36 de 45 ans ou tonton du 92 de 22 ans, même si 22 vlà pas les flics, on gardera quand même les blagues sur les condés en hommage à nos tontons à nous, que ce soient les flingueurs ou les oncles chasseurs. On va tout de même pas se priver de vannes sur la police !